
« Catimini » de Nathalie Saint-Pierre, comme une gifle au système
Le documentaire « Catimini » suit les déplacements, forcés et houleux, de quatre filles de 5 à 18 ans. Elles sont trimbalées par la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) entre familles d’accueil, foyers de groupe, centres jeunesse ou centres de détention.
Avec quatre portraits qui se succèdent sans artifices, Nathalie Saint-Pierre avait envie de faire un personnage destin, une sorte de parcours balisé, selon quatre stades de la jeunesse. « J’ai, en outre, choisi d’éliminer toutes les rencontres d’adulte (des divers intervenants aux familles), pour montrer le point de vue des enfants, nous confie la réalisatrice. J’ai dramatisé aussi, simplifié certaines choses, aux fins du scénario. »
Après avoir côtoyé le milieu de la DPJ (et avoir elle-même élevé une fille d’ailleurs), la réalisatrice confie, après un visionnement au FNC, s’être rendu compte des divers troubles d’attachement que vivent ces jeunes. « Elles se retrouvent sans liens familiaux soutenus, que ce soit à cause des "fracas originels", leur histoire personnelle ou aux ratages du système, précise Nathalie Saint-Pierre. Malgré les bonnes intentions de plusieurs, la vie misérable de nombreuses jeunes filles semble déplorablement sans fin. La DPJ est devenue la porte d’entrée de tous les problèmes reliés aux enfants, alors que sa nature, à cause de son pouvoir quasi judiciaire, devrait être une aide de dernier recours. On observe qu’au moindre signalement, au moindre soupçon de négligence, la DPJ intervient. Si on allégeait un peu ses travailleurs, et si le tissu social était un peu plus solide aussi, ou qu’on tâchait de le reconstruire, ces gens-là pourraient agir dans les cas où ils sont absolument nécessaires. »
Son film émouvant et empreint de compassion dresse un dur constat, comme une gifle au visage du système québécois, censé aider les enfants. Avec une finale dramatique pratiquement logique, troublante et remplie de doutes, Nathalie Saint-Pierre reste optimiste. « Malgré le fait que je n’espérais plus rien de la situation depuis quelques années, des initiatives alternatives donnent espoir, comme celles du docteur Julien, débutée il y 6 ou 7 ans, dit-elle. C’est une action simple et évidente même, mais il faut une réelle communauté pour s’occuper d’un enfant. Alors que je n’y croyais plus, cette initiative est apparue, et de similaires ont aussi vues le jour à l’extérieur de Montréal. La Maison bleue en représente une autre ; il s’agit de maisons qui prennent en charge des femmes enceintes ou en pleine déroute, sans conjoint, toxicomane, etc. Ces maisons-là leur permettent de créer des liens, de s’arrêter et elles fournissent de l’aide, comme trouver un appartement par exemple. C’est brillant parce qu’on intervient avant que les problèmes ne fassent surface chez les jeunes. »
Dans « Catimini », la réalisatrice trace les limites du réseau d’aide au Québec et montre qu’il existe un manque de ressource à cet égard. « Ce système est pressurisé et c’est pareil dans le système scolaire d’ailleurs : on s’attaque aux symptômes des problèmes plutôt qu’à leurs sources, estime Nathalie Saint-Pierre. Plusieurs enfants sont souffrants, comme ma petite Cati, elle serait une enfant idéale en famille d’accueil. Elle est dépressive, renfermée sur elle-même, silencieuse. Elle serait adorée dans une famille, mais ce n’est pas son destin… »
Produit par Extérieur Nuit et distribué par Axia Films, « Catimini » a suscité récemment de fortes réactions au festival de Namur en Belgique, de la part des programmateurs, des critiques, ainsi qu’auprès du public. Le film a, par ailleurs, remporté, en août 2012, le prix du jury (le Valois d’or) au Festival du film d’Angoulême.