
Philippe Cyr explore le monologue avec « Ces regards amoureux de garçons altérés »
Après le spectacle d’envergure « Surveillée et punie », présenté à guichets fermés à Montréal, Ottawa, Paris et Québec, le metteur en scène Philippe Cyr fait un virage à 180°. Il présente dès le 8 avril au Prospero, dans la plus intime des petites salles, un premier monologue en carrière : « Ces regards amoureux de garçons altérés » de l’auteur et traducteur Éric Noël, défendu par Gabriel Szabo.
Sous la direction sobre et précise du metteur en scène, le comédien fait résonner une langue incisive, à la fois crue et romantique, qui expose avec honnêteté le spectre de la dépendance, susceptible de toucher tout le monde.
60 heures
Sur scène, un homme se réveille désorienté, vidé, brisé, au bout de 60 heures passées dans la chambre 158 d’un sauna gai de Montréal. Que s’est-il passé ? Dans ce lieu minuscule transformé en théâtre de la confession, il remonte le fil des dernières années, des dernières heures. Foudroyé par la douleur aiguë du deuil amoureux, il se livre tout entier à ses désirs les plus enfouis, se débattant avec son manque et son envie de disparaître, jusqu’à la dépossession de son corps. Cette parole inexorable, propulsée au crystal meth, fait écho à une détresse trop souvent invisibilisée dans la communauté queer à travers un chapitre dans la vie d’un être qui a besoin de sombrer tout entier avant de refaire surface dans la lumière du jour.
Créée après un long parcours
« Ces regards amoureux de garçons altérés », récipiendaire en 2016 de l’Aide à la création du Centre national du théâtre de Paris, occupe une place marquante dans le parcours de l’auteur de par son caractère autobiographique. Éric Noël en incarne d’abord lui-même l’unique personnage en 2015 au Festival du Jamais Lu, dans une mise en lecture de Philippe Cyr. Puis en 2016, c’est au tour de l’artiste Stanislas Nordey de présenter une lecture de la pièce au Théâtre Ouvert à Paris, en collaboration avec le Théâtre National de Strasbourg. Après ce long parcours, la pièce est créée pour la première fois aujourd’hui dans la Salle intime du Prospero. La pièce saura rejoindre autant les membres de la communauté gaie que celles et ceux qui les côtoient.
Chemsex
Bien que peu discuté dans l’espace public, le chemsex (combinaison de pratiques sexuelles et de consommation de drogues) est une pratique courante dans toutes les strates de la société qui a gagné en popularité au cours des dernières années. Les chiffres sont alarmants : 28 % des hommes gais, queers et non binaires sondés par la Direction de la santé publique de Montréal en 2022 avaient pratiqué le chemsex au cours des six derniers mois. L’apparition de nouvelles drogues et la facilité à rencontrer des partenaires grâce aux multiples applications, entre autres, ont créé une tempête parfaite et contribué à son essor.
« La pièce n’est pas un objet de curiosité, mais bien un objet de la vie courante, commente Philippe Cyr. Elle m’intéresse notamment en raison de la grande différence entre la prévalence du chemsex et l’espace pour en parler. Il y a une forme d’aveuglement collectif face au problème. »
« Sans glorifier quoi que ce soit, j’avais le désir que l’on comprenne pourquoi les gens consomment des drogues, les raisons sous-jacentes, afin de réfléchir à des solutions pour mieux aborder la dépendance », précise Éric Noël.